La famille d'Ecrosnes au 15ème siècle : les bâtisseurs
olin d'Ecrosnes (dit aussi Nicolas) a été, nous l'avons vu, le premier seigneur de Boigneville appartenant à cette famille, vers la fin du 13ème siècle. Son fils Simon lui succéda jusqu'à sa mort, vers 1318, laissant Boigneville à son frère Garin puis à son neveu Renault vers 1328 (14). Ce dernier eut quatre enfant, dont deux fils Adam et Guiot qui furent à l'origine de deux branches bien distinctes de cette famille : les seigneurs d'Oysonville et ceux de Boigneville.
Guiot d'Ecrosnes, fils cadet de Renault, fut seigneur de Boigneville à partir de 1366. Il épousa Marie, fille de Simon de Maintenon, seigneur de la Queue. Nous avons pu consulter deux censiers de Guiot d'Ecrosnes pour Boigneville, datés de 1397 puis 1415 (16), un pour Bailleau de 1399 et enfin un document évoquant un aveu daté de 1430 (17). Même si cette dernière date est un peu étonnante, il faut reconnaître à ce Guiot une longévité exceptionnelle pour l'époque.
Le fils de Guiot, Jean d'Ecrosnes, qui se présentait comme écuyer a eu , en raison de la longévité de son père,la possibilité de guerroyer pendant plusieurs années. On était alors en pleine guerre de cent ans. Le Dr Gillard évoque un document de 1386 nous montrant Jean d'Ecrosnes s'engageant, avec deux soldats à cheval, dans l'armée royale. De passage à Boigneville, ou de retour, il épousa vers 1424 Marguerite de Verdun.
On ne connaît rien des aventures militaires de Jean d'Ecrosnes. Mais les événements qui marquèrent la période où il fut seigneur de Boigneville (de 1430 à 1468 environ) suggèrent qu'il avait de l'argent (après tout, la guerre est aussi l'occasion de nombreuses rapines, ou encore de prises d'otages ...) et une grande assurance.
On lui doit la construction (ou l'achèvement) du manoir de Boigneville, dont l'architecture est typique de cette époque.
On lui doit aussi la reconstruction de l'église d'Yermenonville. Les seigneurs de Boigneville, depuis le temps des Champelin, étaient "fondateurs et patrons" de cette église, et percevaient des dîmes inféodées pour cette raison. Il leur revenait en contrepartie d'assurer l'entretien voire la reconstuction du bâtiment. Le bâtiment précédent datait sans doute du 13ème siècle (un petit bas -relief présent dans l'église et daté de cette époque le suggère). Le bâtiment actuel date donc du 15ème siècle, et Jean d'Ecrosnes y est enterré. Une pierre tombale comporte son nom, mais la plupart des dates qui y figurent sont inexactes : la dalle a sans doute été réalisée tardivement et, à cette époque où l'état civil n'existait pas, nul ne se souvenait des dates exactes (voir le chapitre consacré aux pierres tombales).
Notre homme avait de l'argent, on l'a vu, mais aussi de l'assurance voire de l'audace. En 1461, il imposa un "accord" à Jean de Mesallant seigneur d'Yermenonville, dont il était jusque là vassal (18). Ce dernier consentit à ce que que Jean d'Ecrosnes se déclare vassal de Guillaume Bauldry, chanoine de Chartres et chevessier de Dreux, et "s'engage à n'inquiéter ni lui ni ses descendants même en cas que par la suite il retrouvait lettres et titres pour appuyer son prétendu droit de mouvance". Etant donné que les liens de vassalité s'étaient bien souvent bâtis sur la force, qui tenait lieu de droit, le malheureux Jean de Mesallant aurait bien été en peine de trouver quelque papier attestant de son droit ! On verra un peu plus loin que les liens avec le Chapitre de Chartres étaient complexes ... On retrouvera ensuite les seigneurs de Boigneville vassaux du seigneur du Coudray, dans la mouvance de Gallardon.
Jean d'Ecrosnes, bâtisseur, gérait aussi son domaine. On trouve dans les archives du château de Maintenon de nombreux documents en attestant : achats de terres, échanges, terres données en fermage, etc. La dernière trace que nous avons de lui est un bail signé en 1468 (19).
On sait peu de choses de son fils et successeur Pierre d'Ecrosnes, qui épousa Catherine des Mazzis en 1470. Il mourut jeune, en 1477, en laissant un jeune fils de deux ans, Antoine et une fille, Catherine. Jean des Mazzis, leur oncle maternel, fut leur tuteur (20).
On notera dans ce texte que Jean des Mazzis signe un bail à un certain Amaury Mandemain contre 40 livres de rente annuelle. C'est à ce dernier de payer le cens (comme tout bénéficiaire d'un bail) qui consiste en quelques sols et une poule par an ! Il fallait bien que le seigneurs se nourissent... Cette forme de cens, payable en nature, est très fréquente. Et quand il y avait plusieurs poules à payer, la livraison était étalée dans le temps : il n'y avait pas de moyens modernes pour les conserver!
Le Dr Gillard a trouvé la trace d'un fils illégitime de Pierre d'Ecrosne, nommé Jean, dit le bâtard d'Ecrosnes, qui eut sa part dans la succession de son père, et mourut en 1545.
Antoine d'Ecrosnes, une fois majeur, apparaît comme vassal de Maintenon pour le fief de Mesallant situé à Grogneul (ce fief a donc été racheté à la famille portant ce nom, encore présente à Yermenonville, mais presque ruinée) (21). Antoine et Catherine, et avant eux leur tuteur, ont certainement dû se battre pour récupérer l'intégralité de leur héritage, en partie capté par leur tante Marguerite d'Ecrosnes, mariée à Pierre Havard (22).
Antoine épousa Betranne de Fesnières en 1495. Ils auront sept enfants, ce qui occasionnera un délicat partage de leur héritage, comme on le verra. Antoine commença une querelle qui durera longtemps avec les seigneurs d'Yermenonville, à propos de leurs droits honorifiques dans l'église. Cette affaire durera plus d'un siècle (voir le chapitre consacré à cette querelle). Deux seigneurs dans la même église, c'est comme deux coqs dans la même basse-cour ...
C'est ce même Antoine d'Ecrosnes qui fit bâtir la chapelle du château de Boigneville, qui date donc du début du 16ème siècle. Le 23 décembre 1515, est accordée une permission par le Sieur de Feugeraye, prêtre chanoine et sous-chantre de l'église de Chartres à Antoine d'Ecrosnes, écuyer, seigneur de Boigneville," pour faire dire une messe dans son château, dans une chapelle par lui construite à cet effet, fondée en l'honneur de St Jean Baptiste, tous les jours de dimanche et fêtes, quatre jours à sa volonté pour lui et pour toute sa famille" (23). Le feu de la St Jean sera d'ailleurs organisé jusqu'au 20ème siècle aux abords de cette chapelle.
Antoine d'Ecrosnes meurt vers 1521. L'aîné de ses fils, lui aussi prénommé Antoine, est encore mineur, alors que sa soeur aînée, Marie, est déjà mariée.